Introduction
Principe : nous explicitons d’abord le principe.
Renseignements pratiques : il s’agit d’un court guide sur les services correspondant aux aspects de la vie publique : santé…
Illustrations : Personnes, événements, lieux, œuvres illustrant le principe.
Enjeux : le contexte parfois difficile auquel un principe s’applique.
Jalons : étapes, actions significatives marquant le progrès dans le respect d’un principe.
Vigilance : esprit critique à l'endroit des scandales et autres événements troublants qui détournent la société du principe en cause.
Sources : Livres, Revues, Sites, Articles, Vidéos, Audios.
PRINCIPE
Dans l'une de ses évocations de la justice, qu'il fut l'un des premiers à célébrer, le poète grec Hésiode la présente sous la forme d'une déesse, au moment où elle abandonne à elle-même une humanité en proie à l'injustice. «On n'accordera plus aucune valeur au respect des serments, à la justice, au bien; les honneurs iront bien plutôt à qui perpétrera des crimes et des violences; la justice résidera dans la force, on ne respectera plus rien; le coquin provoquera la ruine de l'homme de bien en débitant sur son compte des propos tortueux, appuyés d'un faux serment; aux pas de tous les misérables mortels s'attachera la jalousie médisante, heureuse de nuire avec sa face hideuse. Alors, leur beau corps enveloppé dans leur manteau blanc, quittant pour l'Olympe la terre aux larges routes, Conscience et Justice abandonneront les hommes et rejoindront la tribu des Immortels. Il ne restera aux mortels que la souffrance et sa tristesse; contre le malheur il n'y aura pas de recours.»
Ce passage des Travaux et des jours nous rappelle que le sentiment de justice est associé à l'indignation devant l'injustice, que la justice fut d'abord perçue comme étant d'origine divine et que loin d'être une idée abstraite, elle s'incarnait dans une déesse. La justice sera aussi une réalité aux yeux de Platon et d'Aristote, une réalité qu'on peut aimer, dont on peut s'inspirer. Nombreux sont ceux qui adhèrent à cette conception encore aujourd'hui. C'est le cas de George Grant, auteur de English Speaking Justice, un livre où il prend position pour la justice selon Platon et contre la théorie de la justice qui domine dans le monde anglo-saxon en ce moment, celle de John Rawls pour qui la justice, loin d'être une réalité transcendante, réelle et vivante, est un équilibre entre des intérêts individuels froidement et rationnellement défendus. Cette théorie s'accorde bien avec le néo-libéralisme, mais c'est la première conception qui convient à ceux qui mettent le bien commun au premier plan et désirent vivre dans une société caractérisée par la philia. Dans un commentaire inspiré sur la justice selon George Grant, Hugh Donald Forbes nous fait sentir la différence entre les deux conceptions.«Donner à l'autre son dû peut apparaître comme n'étant rien d'autre qu'une douloureuse nécessité s'expliquant par notre inéluctable interdépendance, mais quand s'ajoute l'amour de la justice, le même acte est vécu comme une réponse aimante à un autre qui se révèle à nous comme beau. Dans nos relations avec les autres, nous devons être attirés vers une perfection à la limite non représentable, en suivant nos désirs et non en les contrariant.»
La justice qu'on peut aimer ne se réduit pas à des techniques de résolution de conflits. Elle nous invite plutôt à prévenir les conflits et à défaut de pouvoir les éviter, à tenter de les résoudre par ces méthodes douces comme la médiation et la conciliation. Elle nous rappelle que la règle sociale doit être réhabilitée face à une règle de droit devenue trop envahissante.
«Dans un essai paru en 1981 sous le titre de De quel droit, Jacques Grand'Maison a montré comment le droit se substitue progressivement à divers aspects de la vie personnelle et collective: la coutume, la morale, la religion, la vie sociale et culturelle, la psychologie et finalement la politique. "Le droit, conclut-t-il, est un dernier refuge, sans fond humain particulier qui lui donne un visage."[i] A mesure qu'on avance dans les analyses de cette nature on en vient à la terrifiante conclusion que le droit en devenant l'unique instrument de libération et de régulation risque fort de se transformer par là même en son contraire. Aussi paradoxal que cela puisse paraître il y un totalitarisme du droit et au moment où l'état de droit triomphe dans le monde c'est peut-être le principal danger à l'horizon. »[ii]
Les personnes les plus fragiles sont celles qui ont le plus intérêt à ce que la justice qu'on peut aimer soit vraiment aimée.
ILLUSTRATIONS
Dans un ouvrage aussi profond que léger, aussi instructif que distrayant, Quand le peuple fait la loi, La loi populaire à St-Joseph de Beauce, Madeleine Ferron et Robert Cliche, deux personnes qui ont marqué la vie sociale et politique du Québec au XXe siècle, ont dressé un tableau saisissant de la vie sociale de leur région jusqu'en 1972, date de la parution du livre. La paroisse de Saint-Joseph de Beauce, la première de la région, a été fondée en 1737. La Beauce est située à l'est de Québec et s'étend jusqu'à la frontière des États-Unis. On y vécut longtemps isolé du reste du reste du pays, ce qui semble avoir eu pour conséquences un sens aigu des responsabilités sociales et une indépendance à l'égard des États centraux qui sont encore une caractéristique de la Beauce aujourd'hui.
Voici quelques extraits de ce livre:
La Beauce
«Pendant près d'un siècle la Beauce demeura un pays fermé, une concession difficile d'accès. La rivière Chaudière (à l'époque Mechatigan) à cause de ses rapides et de ses chutes à Charny ne fut pas « la route marchante » qui aurait permis aux premiers colons de descendre à Québec. Les communications terrestres n'étaient guère meilleures. Les voyageurs devaient traverser les terres marécageuses du bois de Sartigan, qui confinaient à la Seigneurie de Lauzon. Ils s'enlisaient jusqu’aux genoux, d'où le blason populaire de jarrets Noirs.»
Les pompiers sont volontaires et choisis pour leur habileté et leur courage. Le conseil municipal ne se lie avec eux par aucun contrat mais il est entendu que pour éteindre un feu la nuit, ils ont « temps double ». Une coutume voulait, il y a quelques années encore, que le maire du village averti le premier de l'incendie, accoure sur les lieux, muni, les soirs de grand froid, d'une bouteille d'alcool pour réconforter et réchauffer les pompiers. Un incendie qui dura toute une nuit par un froid de quarante degrés au-dessous de zéro eut pour inévitables conséquences d’étaler, le matin venu, à la foule réunie, les inconvénients d'une si aimable coutume. Dans un décor fantastique de givre et de verglas, on vit d'étranges personnages recouverts de glace qui trébuchaient dans les boyaux d'arrosage. Dans les jours qui suivirent, les pompiers furent objet de si nombreuses railleries qu’ils s'en trouvèrent comme blâmés et lésés dans ce droit qu’ils ont au respect de leurs concitoyens. Ils démissionnèrent. Le conseil municipal dut inscrire au cahier des délibérations une résolution de félicitations pour qu'ils acceptent de revenir à leur poste.
La guignolée : quête faite durant la période des Fêtes, par un groupe de paroissiens pour ramasser des effets ou de l'argent au profit des pauvres de la paroisse, Les « guignoleux » vont d'une maison à l'autre en chantant: « Bonjour le maître et la maîtresse et tous les gens de la maison. «Pour le dernier jour de l'année, la guignolée vous nous donnez, si vous voulez rien nous donner, dites-nous-le, nous prendrons la fille aînée. » S'ils acceptent tous les petits coups des fêtes qui leur sont offerts, ils courent le risque de ne pas terminer la tournée.
Entre la corvée d'hier et celle d'aujourd'hui, il y a similitude dans l'exécution mais différence fondamentale. Autrefois, c'était le travail gratuit qu'un serf devait à son seigneur. Aujourd'hui, la corvée est le travail gratuit qu’un groupe de citoyens offre à un individu pour lever le carré d'une grange, d'une maison ou d'autres bâtisses. Les matériaux sont fournis par le propriétaire. La corvée est annoncée du haut de la chaire et le curé se rend sur les lieux bénir le travail. Les hommes qui coopèrent à l'érection de la bâtisse ont apporté leurs outils et amené leurs femmes ; elles aideront à préparer le repas du midi et la collation de l'après-midi. C'est la corvée classique, à laquelle personne ne se soustrait.
En deuxième lieu, il y a la corvée en cas de feu, qui a lieu souvent le dimanche, pour permettre à un plus grand nombre d'y participer. La permission en est donnée par le curé, du haut de la chaire, qui annonce en même temps, que la corvée sera précédée d'une quête, dont le but est d'amasser des matériaux et l’argent nécessaires pour « remettre sur pieds » le sinistré. Il y a aussi ce que j'appellerai la corvée spontanée. Elle s’organise rapidement dans des circonstances particulières et imprévues. Par exemple, on fera une collecte pour acheter une chaise roulante à un infirme. On fera en corvée les réparations de la maison d'une famille démunie, Au livre des prônes, on peut lire qu'une quête est faite par un grand nombre de paroissiens pour acheter un nouveau cheval au postillon.
La corvée est une institution qui ne s'est pas modifiée depuis quelle est fixée dans sa seconde forme. Elle demeure la plus vivante de nos traditions et le plus bel exemple de solidarité. En dernier lieu, vient le « bi », manifestation collective, volontaire et gratuite : plusieurs femmes s'entendent entre elles pour venir en aide. Il y aura par exemple, un « bi » de couture pour habiller une famille dont les vêtements auraient brûlé dans un incendie. Un « bi» de couture peut s'organiser aussi pour tailler des vêtements de deuil. Un « bi » de sandwichs pour préparer le réveillon d'une fête communautaire, etc. etc. Il y a quelques années encore existaient des « bi » d'entraide. Plusieurs voisins se réunissaient pour faire boucherie, chez l'un ou chez l'autre, pour couper le bois de chauffage, pour battre du grain. C'était un échange de services. On « se donnait des journées ». Ces réunions s'accompagnaient de réjouissances : jouer des tours, « prendre un verre».
Parmi les sanctions éthiques, nous classerons la « réparation d’honneur ». Quand s’élève une querelle qui se développe jusqu'à la phase dramatique où s’échangent les injures, les témoins présents décident qui est « l'outrageux » et le coupable doit le dimanche suivant, sur le perron de l'église, à la grand-messe, faire à haute voix « réparation d'honneur ». Pour sauver le parent ou l'ami de l'humiliation, les proches entourent le coupable et parlent très fort afin que la confession soit la plus discrète possible. Nous avons été témoins de deux réparations d’honneur mais elles deviennent rares puisque aujourd'hui on peut se servir des tribunaux pour laver une injure. A moins qu’on ne préfère une justice expéditive : les coups et les injures sont alors échangés en nombre égal et avec une violence équivalente qui les neutralise. C’est la compensation d'injures.
Au chapitre des sanctions éthiques, nous notons le charivari : c'est un concert burlesque et tumultueux, un vacarme nocturne. On assiège la maison d'une personne voulant contracter un mariage jugé inconvenant. C'est un veuf qui se remarie trop tôt, une veuve qui convole trop souvent. Ce peut être aussi un mariage « déclassé », l'éducation, la fortune, l'âge des conjoints étant disproportionnés. Le charivari ne se pratique plus beaucoup. Les mœurs devenues moins sévères diminuent les interdits. Quand il a lieu, le charivari se modernise. Le dernier dont nous fûmes témoins était fort tumultueux : le bruit strident de plusieurs scies mécaniques dans le silence percutant de la nuit a un effet sonore étonnant. Ce charivari soulignait l'inconvenance du mariage d'un homme de 72 ans après un veuvage de trois courts mois. Le vieux eut beau avouer que la continence lui était un supplice qu'il ne pouvait endurer, qu'i1 préférait le remariage au péché mortel, ses descendants s'en trouvèrent quand même offensés. Ils préférèrent leur honneur au salut éternel de leur aïeul à qui ils firent un charivari.
1- Quand le peuple fait la loi, Hurtubise/HMH, Montréal 1972.