Aux confins de la vie affective et de la vie intellectuelle, l'admiration donne la mesure de la qualité d'un être. «Devant la supériorité, disait Goethe, il n'y a de salut que dans l'amour.» Un amour qui commence par de l'admiration. Signe de richesse affective, elle est, quand elle devient excessive, un signe de manque d'identité et parfois d'hystérie, comme en témoigne l'enthousiasme tapageur que suscitent certains chanteurs médiocres. Les mêmes fans peuvent très bien ensuite se montrer incapables d'admirer ce qui mérite de l'être.
La pollinisation est une belle image de l’appartenance. Dans une communauté humaine riche, la pollinisation est assurée par la multitude de ces brèves rencontres qui ponctuent la vie quotidienne: à la maison, au marché, au bureau de poste, à l'école, à l'église, au parc, dans la rue, à la librairie, au restaurant. Chaque fois qu'un de ces lieux disparaît, des liens d'appartenance se brisent.
Autonomie, comme dans perte d’autonomie. Si l’on en croit le discours public en effet, on ne s’intéresse aujourd’hui à l’autonomie qu'au moment de la perdre, ou plutôt au moment où l’on achève de la perdre. Car la perte de cette précieuse qualité commence très tôt et, comme elle est indolore, nous sommes les derniers à en avoir conscience. Elle commence par exemple quand on boit selon la consigne médicale plutôt que quand on a soif. Voici à ce propos l’histoire d’une grande découverte médicale récente.
La cohérence est nécessaire en tant que fondement des convictions et par suite de l'esprit critique et de la constance dans l’action. Dans le Québec d'hier le marxisme, dans le Québec d'avant- hier la doctrine catholique pouvaient servir à fonder des convictions permettant d'opposer une certaine résistance à la société de consommation. Ces deux bases ne sont plus que des îlots à la dérive parmi une multitude d'autres. Internet a renforcé cette tendance, toutes les opinions s'y étalent sans hiérarchie autre que celle que chacun peut construire pour son propre compte.
La créativité est le triomphe du vivant sur le mécanique. La vie est créatrice d'ordre, de beauté; elle est néguentropie, négation de cette
implacable loi selon laquelle la nature tend vers le désordre, la dégradation de l'énergie. Il n'y a de véritable créativité que là où il y a émergence d'ordre, cet ordre dont la musique de Bach est l'exemple parfait. Hors de l'ordre on ne crée pas, on s'exprime, on projette son désordre personnel.
Selon le mythe dont l'ordinateur individuel fut entouré à son origine, mythe forgé par les fondateurs et les premiers utilisateurs des machines Apple, cette merveille devait servir la cause de l'autonomie personnelle et du pouvoir local. Pour se défendre contre les ordinateurs puissants des grandes organisations, étatiques ou commerciales, le citoyen ordinaire aurait son propre engin de communication.
Le citoyen des démocraties actuelles devant d’abord se consacrer à son travail et à sa vie privée, il ne peut consacrer à la vie publique que son surcroît le loisir et d’énergie . C’est ce qui nous incite à penser que sa qualité la plus précieuse, celle qui le définit le mieux en tant que citoyen, c’est sa vitalité. Ce qui a rendu la démocratie athénienne possible et en a fait un modèle, pour ce qui est de la participation, c’est le fait que l’esclave assumait alors la plus grande partie des tâches que le citoyen est aujourd’hui obligés d’assumer entièrement.
Dignité est le mot phare en ce moment, plus fondamental que le mot droit, car les droits de l’homme reposent sur sa dignité, plus précieux que le mot liberté, car on conserve encore toute sa dignité quand on a perdu l’usage de sa liberté, à cause d’un handicap par exemple. Dignité est aussi le mot qui désigne la seule réalité en chaque être humain qui puisse encore retenir l’agresseur au seuil de la violence extrême !
«La découverte des armes à feu égalise le vilain et le noble sur le champ de bataille; l'imprimerie offre d'égales ressources à leur
intelligence; la poste vient déposer la lumière sur le seuil de la cabane du pauvre comme à la porte des palais;» C’est ainsi que
Tocqueville évoque le rôle de la technique dans la montée de l’égalité, mais on a bien des raisons de penser que la technique aura désormais l’effet contraire.
Comment vivre sans croire que quelqu'un, une personne au moins, de par le vaste monde, se soucie de nous, désire notre bonheur, ne nous abandonnera jamais et volerait à notre secours en cas de malheur? Ce lien inconditionnel n'est-il pas la fidélité ?
La spécialisation dans un sport est une chose absurde puisqu’elle est contraire à la finalité du sport: une harmonie qui habilite la personne à accomplir la plus grande diversité de gestes, qui fait d'elle un être pleinement humain sur le plan physique. Le travailleur manuel, s’il est spécialisé dans une tâche, risque d’être déformé par les gestes qu’il pose chaque jour pour accomplir sa tâche. Le sport dans son cas, devra être varié et aura pour but de lui redonner son harmonie en partie perdue.
Honnêteté, honneur : même origine. Quand on se soumet aux règles de la mafia, on renonce à son honneur. D’où l’importance de cultiver le sens de l’honneur dans la société.L’honneur authentique est l’éclat de la vertu, son aura. Cet éclat est l’écho de la vertu dans la société, le signe qu’elle est reconnue et admirée. Là où la vertu est condamnée à demeurer sans écho et donc sans éclat, elle n’est accessible qu’à quelques grands solitaires. D’où la nécessité de continuer à cultiver l’honneur, de considérer les critiques dont il a été l’objet comme des invitations à retrouver son vrai visage.
Si l'incarnation doit demeurer une valeur importante aujourd'hui c'est aussi parce que le principal danger en ce moment c'est le formalisme, et non le matérialisme. La matière est tangible et on y fait toujours pénétrer un peu d'esprit même quand on s'y embourbe. Mais ce n'est pas la matière qui prend de plus en plus de place dans nos vies, ce sont les chiffres et toutes les autres abstractions qu'on peut associer à la montée du formalisme, lequel peut être défini comme le signe coupé du signifié. La machine, l'ordinateur en particulier, est le produit parfait du formalisme.
Dans l'une de ses évocations de la justice, qu'il fut l'un des premiers à célébrer, le poète grec Hésiode la présente sous la forme d'une déesse, au moment où elle abandonne à elle-même une humanité en proie à l'injustice. «On n'accordera plus aucune valeur au respect des serments, à la justice, au bien; les honneurs iront bien plutôt à qui perpétrera des crimes et des violences; la justice résidera dans la force, on ne respectera plus rien; le coquin provoquera la ruine de l'homme de bien en débitant sur son compte des propos tortueux, appuyés d'un faux serment; aux pas de tous les misérables mortels s'attachera la jalousie médisante, heureuse de nuire avec sa face hideuse. Alors, leur beau corps enveloppé dans leur manteau blanc, quittant pour l'Olympe la terre aux larges routes, Conscience et Justice abandonneront les hommes et rejoindront la tribu des Immortels. Il ne restera aux mortels que la souffrance et sa tristesse; contre le malheur il n'y aura pas de recours.»
Le développement durable, disions-nous dans l'article sur le partage et l'économie, se confond avec le rapprochement entre l'économie et l'écologie. C'est dans ce contexte qu'il faut poser la question de la liberté. Ce que je veux, quand je le veux! Aussi longtemps que cette conception de la liberté sera chose sacrée comme c'est le cas aujourd'hui, le rapprochement entre l'économie et l'écologie sera impossible Je ne peux pas exterminer tous les insectes jugés nuisibles autour de ma maison, (ce que je veux, quand je le veux!) et prétendre en même temps respecter les conditions de la pollinisation naturelle. La nature ne nous donne pas le choix. Si j'extermine les insectes, j'ai intérêt à investir dans la fabrication d'abeilles-drones.
Pour bien saisir la nature et l'importance de la mesure, il faut comprendre la démesure et les formes qu'elle prend aujourd'hui. Elle est partout autour de nous et en nous: démesure de l'athlète qui met l'intégrité de son corps en péril pour abattre un record ; démesure de l'industriel de l'agriculture qui provoque l'érosion et la mort lente de l'humus pour accroître temporairement sa production ; démesure de l'automobiliste dont le véhicule dépense dix fois plus d'énergie que ne le requiert l'usage qu'il en fait, etc. Toujours plus, toujours plus vite! C'est la démesure de signe PLUS. Mais il y aussi une démesure de signe MOINS. Toujours moins de contraintes, de responsabilités, d'obligations. Et toujours, quel qu'en soit le signe, la démesure balaie les obstacles qu'elle rencontre.
Kropotkine fut le premier à reconnaître l'importance de la coopération dans la chaîne de l'évolution. Dans l'espoir de convaincre les darwinistes de cette importance, Il publia en 1906, un ouvrage magistral intitulé L'entraide, dont voici un extrait: «partout où je trouvail la vie animale en abondance, comme, par exemple, sur les lacs, où des vingtaines d’espèces et des millions d’individus se réunissent pour élever leur progéniture;[…] dans toutes ces scènes de la vie animale qui se déroulaient sous mes yeux, je vis l'entraide et l’appui mutuel pratiqués dans des proportions qui me donnèrent à penser que c’était là un trait de la plus haute importance pour le maintien de la vie, pour la conservation de chaque espèce, et pour son évolution ultérieure.»
Le mot perfection a été galvaudé comme le mot excellence et pour les mêmes raisons, mais l'amour du travail bien fait existe toujours et même si, sur le plan personnel, les gens recherchent le bonheur plutôt que la perfection, rares sont ceux qui séparent le bonheur de la perfection dans le faire: le travail bien fait, et dans l'être: la sagesse, l'idéal étant de se faire soi-même en faisant des choses.
La philia, quel que soit l'équivalent français adopté, c'est la réserve de chaleur humaine, d'affectivité, d'élan et de générosité (au-delà de la froide impartialité et de la stricte justice ou de l'équité) qui nourrit et stimule le compagnonnage humain au sein de la Cité : et cela à travers les fêtes, les plaisirs et les jeux comme à travers les épreuves.
La prudence est la vertu sans panache. «De quelque manière qu’on l’envisage, précise Rousseau, on lui trouve toujours plus de solidité que d’éclat, et elle sert plutôt à faire valoir les autres vertus qu’à briller par elle-même.» Dans l'acte héroïque, on voit le courage, on ne voit pas la prudence qui en a assuré la réussite. L'homme prudent, s'il n'est que prudent, attirera le mépris plus que l'admiration. Être prudent, pour plusieurs, c'est être pusillanime.
La sollicitude est le respect inspiré. Dans une note au sujet des soins au malade, Valéry nous donne à penser que la sollicitude est la politesse élevée jusqu'à la poésie. «Une précision confiante. Une sorte d'élégance dans les actes, une présence et une légèreté, une prévision et une sorte de perception très éveillée qui observe les moindres signes. C'est une sorte d’œuvre, de poème (et qui n'a jamais été écrit), que la sollicitude intelligente compose.»
La responsabilité s'accroît avec le pouvoir. L’homme a si bien réussi à maîtriser la nature qu’il en est devenu responsable à un degré sans exemple dans le passé. Jusqu’à nos jours, les obligations de l’être humain se limitaient à ses proches, dans le temps, dans l’espace et à l’intérieur de son espèce. Elles s’étendent aujourd’hui aux générations futures, aux pays lointains, aux cultures différentes, à l’ensemble des espèces et des milieux vivants. La responsabilité suit le pouvoir. L’homme a si bien réussi à maîtriser la nature qu’il est devenu responsable de son avenir. Tu ne tueras point… ton semblable. À ce grand commandement, s’en ajoute un second : Tu ne tueras point l’Homme. Et un troisième : Tu ne détruiras pas la Biosphère, la partie vivante de la terre dont dépend l’intégrité de l’être humain. Le suicide est interdit à l’humanité.
Par quel mot désigner la part des Amérindiens dans la formation de l’identité québécoise? Au mot sagacité, Littré nous met sur une bonne piste par cette réflexion de Guillaume Thomas Raynal : «Les sauvages ont une pénétration et une sagacité qui étonnent qui ne sait combien nos arts et nos méthodes ont rendu notre esprit paresseux.» L’adjectif latin sagax signifie tantôt odorat subtil, tantôt oreille fine. Tel fut le premier sens du mot sagacité, désormais utilisé au sens figuré seulement, pour désigner une subtilité de l’esprit qui va au-delà de la pénétration. Cette sagacité, reposant sur un exercice constant des sens, à commencer par le plus ancien, l’odorat, nos ancêtres ont sûrement appris à la développer aux contacts des Amérindiens et ils en ont eu besoin pour s’adapter à leur nouvel environnement. Qu’en reste-il aujourd’hui? L’habitude que conservent les Québécois de chercher le repos dans un chalet construit en forêt ou près d’un lac lui-même entouré d’arbres, ne dénote-t-il pas la nostalgie d’un rapport au monde où les sens avaient plus de part qu’aujourd’hui?4
Enjeux: le gouvernement Harper a privé L'agence canadienne de développement international (ACDI) de son autonomie et d'un partie de ses fonds. Le mouvement Développement et paix a subi le même sort.
Quelle voie suivre en pratique pour éviter, tantôt les heurts entre fidèles de diverses religions, tantôt les heurts entre croyants et laïcs ? Nous pourrions adopter la définition de la laïcité d’un gouvernant sage qui a su éviter à son pays les conflits qui paraissaient inéluctables, Léopold Sédar Senghor : «Expliquant ce qu'il entend par laïcité inscrite dans la Constitution sénégalaise, Senghor disait au khalife général des mourides, " la laïcité pour nous, n'est ni l'athéisme ni la propagande anti religieuse... La religion est un aspect essentiel de la culture. Elle représente l'effort le plus noble pour lier l'homme à l'univers dans un double effort de socialisation et de totalisation ", a dit Abdou Diouf. »